Lorsqu’on m’a présenté la certification ou « grading » de billets de banque, je dois reconnaître que je n’ai pas compris immédiatement son intérêt. J’étais perplexe, en tant que collectionneur, d’imaginer un seul instant que je pourrais supporter une barrière plastique entre mon billet et mes doigts ! Je dois avouer que je n’ai jamais vraiment sauté le pas et finalement pas un seul billet de ma collection est certifié. Cette décision a été prise d’un point de vue purement pratique. En effet, pour les quelques billets que j’ai acquis déjà mis sous pochette plastique, je me suis aperçu que certains slabs ne rentraient plus dans mes boîtes Kobra (1) ou dans les intercalaires de mes classeurs, m’obligeant à scinder ma collection en de multiples supports physiques. Bof !
D’un point de vue purement géographique, il est vrai que j’ai la chance d’habiter dans un pays tempéré et que la conservation des billets est bien plus facile qu’un indien de Calcutta, qui devra trouver une solution pérenne et sécurisé de conservation de sa collection, dans un pays ou les conditions climatiques peuvent être ou devenir un problème majeur. Chaque collectionneur verra donc l’intérêt de la certification sous un angle géographique, culturel, personnel ou autre.
J’observe toutefois sur les salons numismatiques que les états de conservations n’entrent désormais plus en considération lors d’une transaction puisque le billet est identifié par un code de qualité, permettant ainsi de se concentrer essentiellement sur le prix de vente ; c’est un avantage indéniable de la certification.
Du point de vue purement financier, le grading des billets de banque n’est pas gratuit, bien évidemment. Le coût de la certification est censé garantir l’authenticité et la qualité d’un billet de collection puisqu’une fois qu’il se trouve sous protection plastique, le billet de banque est alors sanctuarisé et inscrit dans le marbre de la qualité qui lui a été définie.
C’est là qu’interviennent les nombreux organismes indépendants (2) qui évaluent les billets de banque de collection. Le leader du domaine est sans conteste la société PMG (Paper Money Guaranty), qui s’appuie sur l’échelle des grades de M. Sheldon (3) ou « PMG Grading Scale ».
Omo lave plus blanc (4)
La traçabilité d’un billet avant sa certification définitive est impossible à déterminer. Je pense que c’est la faille principale de ces organismes qui certifient à la chaîne des milliers de billets par jour. Les certificateurs n’ont physiquement pas la possibilité de retracer le parcours de chaque billet, ceux-ci leur arrivant dans les mains pour la première fois. Pour les billets rares, les archives des maisons de vente sont pourtant rapidement et facilement accessibles. Il ne m’aura pris que quelques minutes pour découvrir la vie antérieure de ce très rare 50 francs type 1912 violet de l’Algérie (Réf. Pick #079 ou #MK17a), actuellement en vente chez Spink :
Le billet, gradé PCGS 30 par l’organisme du même nom, est estimé entre 2500 et 3000 £ avec le commentaire de la maison de vente : « Banque de L’Algérie, Algeria, [Top Pop] 50 Francs, 1st August 1913, serial number O.1 00013794, (Pick 79, BNB 125), in PCGS holder 30 Very Fine details, minor repairs, single finest graded on PCGS census ».
Maintenant, remontons juste à juillet 2023, c’est à dire quelques mois et découvrez le même billet vendu 2600 € par cgb.fr :
Pour passer un billet aussi rare (5) à la machine à laver, on peut raisonnablement conclure que l’acquéreur du billet n’est pas un collectionneur. Du coup, ce margoulin du dimanche réalise un strike en trompant à la fois, un organisme de certification, une maison de vente prestigieuse et au final, un futur collectionneur.
En conclusion, si le nouvel acquéreur de cet exemplaire mutilé s’aperçoit de la supercherie en découvrant le billet initial sur le site de cgb.fr (ou en lisant cette news), le risque énorme pour toute la communauté, serait que ce collectionneur, dépité, cesse de se consacrer à la même passion commune qui nous anime et nous amputerait également d’une partie de nous-même.
Merci à François Virecoulon, spécialiste des billets de l’Algérie, de m’avoir alerté sur cette abberration.
Notes
(1) Boîte de rangement Kobra, format 217 x 162 x 63 mm. Entre 25 et 30 €. Très pratique !
(2) En novembre 2018, Kajacques numismatique s’est amusé à faire « Un tour du monde du grading » en listant tous les organismes de certification en activité, c’est assez éloquent ! Bienvenue sur terre…
(3) L’échelle numérique de M. W.H. Sheldon permet de classer les billets par « grades » de qualité allant de 1 (billet très médiocre) à 70 (billet parfait).
(4) « La publicité » de Michel Colucci dit Coluche, 1979.
(5) Une dizaine d’exemplaires connus.