Comment un tract de la propagande britannique tombe du ciel dans la France occupée…
Nous sommes en juin 1941. Le sentiment anti-allemand est exacerbé ; il s’illustre parfaitement avec une parodie d’un billet de 50 francs Jacques Cœur type 1941.
Le tract ne tente pas de tromper les Français ou d’être authentique. Pour la propagande britannique, il s’agit simplement de dénoncer le pillage économique et financier effectué par l’armée allemande sur l’ensemble du territoire français. Le faux billet comporte au verso un numéro de code « 90 », numéro qui est mentionné dans la publication britannique officielle intitulée « L’indice complet des brochures et des magazines aériens alliés », revue dans laquelle est publiée la liste suivante : « Banque de France, première diffusion 10/11 juin 1941, dernière diffusion 12/13 juin 1941 ». Deux dates sont effectivement données pour chaque bilan puisque les missions ont été passées du jour au lendemain… Un bombardier partant le 10 juin reviendrait dans la matinée du 11 juin !
Les Britanniques ne tentèrent pas d’imiter de près le billet original. L’authentique est multicolore, alors que la parodie est de couleur marron sur papier blanc :
Recto de l’exemplaire non authentique de ma collection personnelle. Les deux ronds en rouge indique l’emplacement de la perforation.
Le format du tract respecte par contre les dimensions du vrai billet à savoir : 145 x 90 mm. En lieu et place des deux signatures de P. Rousseau et de R. Favre-Gilly, nous trouvons « Le traître Laval » et « L’espion Abetz ». On peut distinguer deux petites caricatures souriantes d’Hitler et de Laval au sommet des colonnes à gauche et à droite sous la valeur « 50 ». La silhouette du Grand Argentier occupe la même place que dans le billet original et au bout de sa main, on peut lire sur un morceau de papier : « Frais d’occupation par jour 400000000 ». Le petit coffret doré, que l’on voit fermé sur la table rouge du billet authentique, est à présent renversé, ouvert et vidé de ses pièces d’or ! Au bas au centre du billet, la célèbre devise de Jacques Cœur « A Ceurs Vaillans Riens Impossible » devient : « Aux Boches pillants, Riens impossible ». Le numéro de série devient « 23.6 » et le numéro d’ordre devient « 1940 », soit le jour et l’année où le collaborateur Laval a été nommé Vice-Premier Ministre de la France et le général de Gaulle a annoncé la formation du comité national français à Londres.
Au verso du tract, on trouve un long message de propagande attaquant le coût des forces d’occupation allemandes stationnées en France : « Voici une vignette qui conviendrait aux nouveaux billets de 50 francs, car elle illustre l’histoire du pillage systématique de la France, pillage qui est fait selon un plan bien arrêté. D’abord, il y a 400000000 francs de frais d’occupation par jour. Comme il y a en ce moment à peu près un million de soldats Boches en France, cela fait 400 francs par jour et par soldat, c’est-à-dire le double d’une pension complète dans un palace de luxe de la Côte d’Azur. Les 400 millions par jour représentent le double de l’ensemble des dépenses budgétaires pour la France entière – soit pour 40 millions de Français. Chaque Allemand coûte au Trésor autant que 80 Français. Bien entendu, les Allemands ne dépensent pas 400 francs par jour et par soldat. Les vins fins et les somptueux repas sont réservés aux officiers et aux agents de la Gestapo. Les Allemands “économisent” plus des deux tiers de ces frais, et avec le montant “achètent” les entreprises françaises. Ainsi, ils comptent réduire la France entière à l’esclavage économique. Ce n’est pas tout. En obligeant les Français à accepter leur « Reichskreditkassenscheine » à 20 francs le mark – alors que celui-ci ne valait même pas 6 francs avant l’armistice – ils forcent la Banque de France à imprimer des francs papier à l’infini. Ce sont les mêmes Boches qui pendant des années, ont gémi contre les réparations ! On se souviendra de tout cela le jour du règlement final ».
Verso de l’exemplaire non authentique de ma collection personnelle. Les deux ronds en rouge indique l’emplacement de la perforation.
Pour conclure, ces « billets » de propagande étaient perforées d’un petit trou. Les liasses de feuilles étaient ensuite reliées par une ficelle attachée à un ballon sur lequel on disposait un fusible. Les ballons étaient ensuite largués au-dessus de la France et le fusible, par son fonctionnement très lent, relâchait ainsi les tracts sur une très vaste zone.
Curieusement, un fichier britannique a été retrouvé sur cette thématique de propagande. Dans une lettre du Foreign Office datée du 25 avril 1941 et déposée sous : « Suggestions de propagande », nous trouvons les réflexions suivantes : « … Le fardeau écrasant de 400 millions de francs par jour en plus du cambriolage allemand habituel des fournitures et de tout ce qui peut être spolié dans la France occupée a été accepté par “les hommes de Bordeaux” avec la conviction que l’Empire britannique s’effondrerait bientôt comme la France l’avait fait et que la France devait donc payer ce fardeau fantastique pendant seulement quelques semaines. Aucun gouvernement dans ce sens n’aurait volontairement accepté un fardeau si impossible pour l’économie française… ».
Ci-dessus : un tract proposé à la vente par cgb.fr, catalogue Papier-Monnaie #28, lot #0118.